Entretien avec les réalisateurs mené par Nicolas Brogniart.
Depuis l’idée originale, comment votre projet de film a-t-il évolué dans son écriture ?
Le film a beaucoup évolué depuis notre idée de départ. A l’origine, il devait être beaucoup plus centré sur le collectif autour de Robert durant le tournage de son film de fiction. Progressivement, notre documentaire est devenu un film beaucoup plus personnel, plus intime. Notre écriture a évolué pour s’intéresser davantage à lui entant que créateur multi-facette.
Le tournant majeur de notre projet a été le décès de son fils Elie. Nous pensions que Robert allait interrompre ses projets dont sa fiction. Nous nous serions alors mis en retrait le temps que Robert traverse cette épreuve avec ses proches. Mais les choses ne se sont pas du tout passées comme ça. Robert, Isabelle et leurs enfants ont décidé presque naturellement de continuer l’aventure de leur fiction. Ils sont restés dans une énergie très positive parce qu’Elie était aussi un fonceur comme eux. Non seulement ce drame n’a pas mis un coup d’arrêt à cette frénésie, mais il est même devenu un nouvel élan aux créations de Robert. Nous l’avons compris quelques mois après son accident, lorsque Robert a décidé de lui ériger un palais. Et c’est à ce moment-là qu’on s’est dit que la disparition d’Elie et la construction de cette œuvre allait être le fil rouge de notre film.
Quelle technique avez-vous mis en place pour que Robert livre une parole plus intime ?
Pendant les trois années de tournage, nous avons essayé d’être le moins intrusif possible. Même si Robert est pudique, il n’hésite pas à parler de lui, à exprimer ses émotions. Nous n’avons pas eu besoin de lui poser des questions, notre simple présence l’incitait souvent à s’exprimer. Par exemple, il pouvait commencer à nous parler d’un mur qu’il était en train de construire et au fur et à mesure de la conversation se livrer sur sa relation avec son père. On le laissait exprimer ce qu’il avait besoin de nous dire sans chercher à lui demander de tout commenter, de tout expliquer comme il a tendance à le faire lorsqu’il est en tournage avec des journalistes. Et pour lui, je crois que c’était assez déconcertant d’être filmé sans être obligé de parler et de justifier son travail. Notre approche n’était pas la même que celle des autres équipes de tournage auxquelles il était habitué.
Comment s’est déroulé le tournage ?
Cela a été un tournage au long-court. Au départ on lui rendait visite une fois par mois sans savoir ce que l’on allait filmer. Progressivement, lorsque que les principaux axes de notre documentaire se sont dessinés, nos tournages ont été plus ciblés. Le tournage s’est étalé dans le temps et on a fini par user Robert, et peut être aussi par nous fatiguer nous-même. La première année de tournage centrée sur la fiction de Robert est au final peu présente dans le film. Si nous n’avions pas dévié de ligne directrice pendant le tournage, nous aurions peut-être pu organiser des séquences pour entrer davantage dans l’intimité de Robert. On a préféré ne pas forcer les choses.
Quelles idées avez-vous souhaité transmettre au travers du portrait de ce personnage ?
Ce qu’on a trouvé incroyable chez Robert, c’est qu’il va au bout de ses rêves quel que soit les obstacles qu’il rencontre. Il met tout en place pour concrétiser ses utopies, ses désirs les plus fous. C’est la vraie force du personnage et c’est là-dessus que nous avons souhaité orienter le propos de notre film. Aujourd’hui on ne rêve que d’accessible ; à l’inverse pour Robert c’est : « soyons réaliste, demandons l’impossible ». Il a souhaité réaliser une fiction longue avec les moyens du bord, sans équipe professionnelle, sans réseau et il l’a fait. Suite au décès de son fils, il a décidé de lui construire un palais vertigineux et il l’a fait… Il ne se pose pas de question, il cherche juste à concrétiser ses rêves. Notre société a besoin de personnes inspirantes comme lui pour alimenter l’espoir, pour nous permettre d’aller au bout de nos projets, de ce que nous sommes.
Nous sommes admiratifs de l’artiste, de ce qu’il crée et de la vitesse à laquelle il le fait. Mais nous sommes aussi touchés par l’homme: le père de famille qui doit accepter l’inacceptable et vivre avec. C’est une belle leçon de vie qu’il nous offre. Il n’est pas dans la colère, le fatalisme ou la nostalgie. Il continue de faire confiance au destin et traverse avec une étonnante sérénité cette épreuve que personne ne voudrait vivre.